Les Milles veuves, Damien Murith
13/02/2017
La masse critique de Babelio me permet de découvrir des maisons d'édition et des auteurs rares en librairie et que je n'aurais certainement jamais lus . Et quelle découverte cette fois-ci ! Les Milles veuves est mon premier coup de coeur de ce début d'année.
Je n'ai jamais rien lu qui ressemble aux Mille veuves de Damien Murith.
Ce court roman est une succession de poèmes en prose qui nous racontent la vie d'hommes et de femmes vivant dans un petit port. Chaque petit chapitre est le portrait d'un homme ou d'une femme ou le tableau d'un paysage maritime. Mis bout à bout, ils forment la fresque d'un village de bord de mer des siècles passés. Le quotidien de ce port est fait d'attentes pour les femmes et de départs renouvelés pour les hommes. Mathilde tremble ainsi chaque instant : de peur que Gilles ne revienne pas de son voyage en mer et de crainte qu'il reparte encore et toujours lorsqu'il est enfin revenu. La mer est l'héroïne du roman: la rumeur de ses vagues tumultueuses ou paisibles est un murmure qui parcourt toute l'oeuvre. Elle est au cœur du destin de tous les personnages : elle est le décor omniprésent et, telle une Parques, elle fait vivre ou mourir les hommes. Aux plaintes des épouses et à l'écho des vagues se mêle la voix d'une sorcière, rejetée par tous, qui maudit ces marins possédés par l'envie de voyager et ces femmes qui attendent patiemment et avec terreur leur retour.
Ce court roman est d'une puissance et d'une beauté extrêmes. Le lecteur est happé et envoûté par les voix fantasmagoriques de cette mer dangereuse, de cette sorcière, de ces hommes en mal d'aventures et de ces femmes inquiètes. L' écriture m'a fait penser à celle de Colette: elle est sensuelle et incantatoire. Elle se lit à voix haute pour profiter de chaque mot. Grâce à cette écriture sensuelle, Les Milles veuves sent les odeurs douces et amères de la mer, du sel et des algues, le bruit des pages qui se tournent et les allitérations et assonances du texte nous font entendre l'écho des vagues.
Poème en prose, conte de sorcière, chant de marins, tragédie bouleversante, Les Mille veuves est tout cela.
" Je suis la boiteuse, la tordue, la désarticulée.
Ils me disent : "Vilaine !", ils me disent "Sorcière !", et leurs yeux brillent rouges comme ceux des fous.
Qu'ils me pendent ! Qu'ils me brûlent ! Mes lèvres auront toujours assez de force pour cracher.
Mon corps est une ruine; les ronces le rongent. Comme des larmes, elles pénètrent ma chair, lacèrent peau, muscles, tendons, enserrent mes os qui se fendent, qui éclatent comme la roche quand le gel étrangle, et dans mes veines vibre un sang barbelé, il cherche le coeur, le trouve, le met en pièce, la douleur m'assiège, elle brûle, elle écrase, elle arrache, elle crucifie, ma bouche aux sourires morts s'ouvre, crie : "Vos âmes sont des taudis, je vous hais ! je vous maudis ! et avec mes ongles, je gratterai la terre pour y creuser vos tombes !". "
Merci à Babelio et aux éditions L'Âge d'homme.
Fanny
6 commentaires
Très intriguant ton billet !!!
Merci Julie :)
J'avais beaucoup aimé La Lune assassinée que j'ai envie de relire du coup... Je lirai aussi ce titre-là...
Je pense me l'acheter un jour également ! Celui-ci est envoûtant !
La couverture est merveilleuse mais alors ton avis est juste... j'ai envie de le lire maintenant, je ne lis pas beaucoup de poésie même si j'adore ça. Mais tu emploies les mots sorcières, mer etc et je m'imagine déjà plein de choses !
Je te conseille de foncer Ambroisie ! Si tu es sensible à la poésie je pense que ce petit roman te plaira forcément !
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