Chanson douce, Leïla Slimani
21/10/2016
La cruelle chanson douce de Leïla Slimani commence par cette phrase qui n'est pas sans nous rappeler le début de L'Etranger d'Albert Camus : "Le bébé est mort."
Leïla Slimani nous livre la fin de l'intrigue dès le premier chapitre: Myriam rentre plus tôt du travail pour passer davantage de temps avec ses enfants et découvre les corps de Mila et d'Adam, tués par Louise, la nounou, qui a tenté de se suicider. Nous n'avons alors plus qu'une seule question: Pourquoi Louise en est-elle venue à tuer deux enfants qu'elle semblait aimer ? Connaissant la fin et ayant ainsi une supériorité sur les personnages, le lecteur prend de la hauteur et regarde alors les protagonistes s'animer, comme s'ils étaient de petites poupées, jusqu'au dénouement. Le roman rembobine la chronologie et on retrouve Myriam, débordée, se laissant submerger par l'aigreur et les regrets, ayant l'impression d'être exclue de la vie et qui décide de trouver une nounou pour pouvoir reprendre son travail d'avocate. Paul et Myriam ont choisi Louise, une sorte de Mary Poppins: elle est parfaite, aime immédiatement Mila et Adam, fait à manger et range l'appartement. Myriam retrouve avec joie son travail et la carrière de Paul prend un nouveau tournant. Le couple rentre de plus en plus tard, Louise s'immisce de plus en plus dans leur vie. Le couple ne peut plus se passer d'elle et Louise, veuve, sans nouvelle de sa fille, a enfin l'impression de plus souffrir de la solitude et de faire partie d'une famille aimante. Petit à petit, Louise semble agir étrangement mais elle est toujours plus dévouée à la famille. Myriam et Paul remarquent ces bizarreries, envisagent de la congédier mais ils ne franchissent jamais le pas. Une relation complexe et ambiguë s'est crée entre cette famille et la nounou et le piège se referme tout doucement sur eux.
Chanson douce est un thriller et un conte cruel de notre vie moderne qui aborde de nombreux sujets. Leïla Slimani dresse un portrait criant de vérité d'un jeune couple qui ressemble à tant de couples d'aujourd'hui: Myriam a besoin de travailler pour ne pas devenir une horrible mégère mais elle culpabilise à chaque instant de laisser ses enfants, Paul, qui s'était juré de ne jamais avoir de principes rigides, se montre autoritaire lorsqu'il s'agit de l'éducation de ses enfants. L'auteur aborde également le thème de l'argent: ces couples égoïstes, laissent entrer ces nourrices dans leur intimé mais ils ne les connaissent pas véritablement et ne cherchent pas à les aider face à leurs problèmes financiers.
Leïla Slimani décrit avec beaucoup de tendresse ces nounous, vivant dans la précarité, venues du bout du monde qui protègent et aiment des enfants qui oublient leur nom et qui ne les reconnaissent pas dans la rue lorsqu'ils sont devenus adolescents. L'écriture de Leïla Slimani est tranchante, efficace et nous tient en haleine durant tout le roman.
Vous l'aurez compris, j'ai tout aimé dans ce roman. Chanson douce est une très belle réussite !
"Il y a les mères aussi, les mères au regard vague. Celle qu’un accouchement récent retient à la lisière du monde et qui, sur ce banc, sent le poids de son ventre encore flasque. Elle porte son corps de douleur et de sécrétions, son corps qui sent le lait aigre et le sang. Cette chair qu’elle traîne et à qui elle n’offre ni soin ni repos. Il y a les mères souriantes, radieuses, les mères si rares, que tous les enfants couvent des yeux. Celles qui n’ont pas dit au revoir ce matin, qui ne les ont pas laissés dans les bras d’une autre. Celles qu’un jour de congé exceptionnel a poussées là et qui profitent avec un enthousiasme étrange de cette banale journée d’hiver au parc."
"Son cœur s'est endurci. Les années l'ont recouvert d'une écorce épaisse et froide et elle l'entend à peine battre. Plus rien ne parvient à l'émouvoir. Elle doit admettre qu'elle ne sait plus aimer. Elle a épuisé tout ce que son cœur contenait de tendresse, ses mains n'ont plus rien à frôler."
Merci à Price Minister pour les Matchs de la rentrée littéraire !
Fanny
1 commentaire
Il donne furieusement envie ce billet, Fanny! J'espère avoir l'occasion de découvrir ce livre prochainement!
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